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JOURNAL DE CAMPAGNE
18 septembre 2007

Hier à l’aube,

comme il y a 2 mois dans l’avion qui m’amenait à Séoul, dans les limbes du sommeil, la forme définitive de ces notes m’est apparue, claire, nette, se détachant dans l’ombre, la résolution de toutes les contradictions qui habitent ce texte s’est dessinée.. .Mais au réveil encore, tout était oublié.

Nous n’en finissons pas de naître, passant et repassant par les mêmes chemins, inlassablement répétant les mêmes questions, de rechercher le lieu et l’instant qui nous fit advenir, la clef de notre naissance. Telle est notre quête, en forme de palimpseste.

*

Je songe à ce texte improbable, qui s’ancrerait à la racine de mes souvenirs, avant même qu’ils n’émergent. Il faudrait pour l’écrire inventer un autre moi-même, séparé de ma vie, le rejoignant parfois au détour d’un miroir.

Qu’ai-je fait du jumeau qui m’a été donné quand j’ai reçu mon âme ? De celui qui, enfant, me tenait en éveil, dont le regard rieur suivait chacun de mes gestes, qui, lors des nuits d’épouvante, prenait ma main, éloignait les fantômes ? Dans quelle région de mon corps a-t-il trouvé refuge ?

*

Vestiges de mémoire:

à Nenx, le village de mon enfance, l’idiot à qui on jetait des cailloux ; le jardin de Marie M. chez qui nous nous arrêtions souvent le dimanche après-midi en revenant de chez ma grand-mère -elle habitait une grande maison délabrée, dont seul le jardin, objet de toute sa fierté échappait à la ruine- : la tonnelle de glycines bourdonnante d’abeilles, le paon magique glissant sous les bordures de buis taillés et qui lançait son cri rauque vers le ciel « là-haut, là-haut » en déployant sa queue irisée, la volière bruissante du sifflement des canaris.

Le roucoulement des tourterelles dans les bois proches de notre maison ; dans l’appartement de mon grand-oncle Auguste revenu gazé de Verdun, les radiateurs en fonte que nous découvrions émerveillés (cela devait être autour de 1965 ; chez nous le seul chauffage était un poêle à bois) ; le téléphone : on demandait le n° recherché pour le 75 à Nenx. Après 10 minutes d’attente l’opératrice rappelait et nous mettait « en communication ».

Plus tard, en 1968, la première radio et les évènements de mai écoutés religieusement par ma mère (il lui reste alors moins d’un an à vivre). Le tremblement de terre d’Arette (magnitude 7 sur l’échelle de Richter) ; le premier magnétophone à bande, sur lequel mon père, à notre insu, nous enregistra mon frère et moi (à réentendre cette voix déformée et ces paroles volées, passée la stupeur des premiers instants, un sentiment d’humiliation et de trahison devait me saisir). Plus tard encore : c’est mon oncle qui est venu et qui viendra encore trois ans plus tard, un matin d’août, nous annoncer, à mon petit frère et moi, la mort d’AM. Barrer toute mémoire.

*

Creuser dans cet amas d’images occultées, les faire ressurgir, une à une les tirer de l’oubli.

A travers les rochers, remonter jusqu’aux sources du fleuve. Marcher sans fin, droit devant, jusqu’à oublier même le terme du chemin, jusqu’à perdre de vue toute présence humaine.

Rendre voix à ce passé mythique que nous portons tous, caché au plus profond, faire revivre les enfants perdus dans le dédale du temps.

Inventer un cérémonial intime où se mêleraient à la fois le dais imposant de la Fête-Dieu, lors du mois de Marie et ses prières nocturnes, le chemin de pétales de roses jetés sous les pas du prêtre -moi tremblant- par les petites filles habillées de blanc, le vendredi Saint, la lampe rougeoyante du Saint Sacrement au fond de l’église déserte, les rideaux violets masquant les statues, signe de deuil et souvenir de la passion du Christ, l’odeur d’encens, l’écume des vagues sous un ciel implacable, les corps éclaboussés de désirs inconnus, tous ces éclats tremblants monteraient unis du fond de mon enfance. Le Messie alors viendrait tous nous sauver. Son souffle embraserait nos vies et nous transporterait à la droite du père.

Car c’est à lui qu’appartiennent le Règne, la Puissance et la Gloire, pour les siècles des siècles.

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Commentaires
V
Je n'avais pas lu votre écrit...quand j'ai posté il y a quelques minutes le mien. C'est ma réponse : poussières d'étoiles. Ne pas avoir tout perdu, là est l'essentiel.
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