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JOURNAL DE CAMPAGNE
8 octobre 2007

Hier Marie L. a visité l’atelier, et m'a demandé de lui parler de peinture.

Je me suis tu.

Car parler "de" peinture, c'est dans le même temps parler d'autre et parler de moi. C'est devoir se tenir à la lisière de soi ; à la fois dans ce lieu mythique qu'on appellerait peinture - la dire de l'intérieur- mais aussi parler d'elle comme d'un autre que nous approchons par ce qu'il nous montre, que nous connaissons par ce que nous voyons de lui. C'est dire ensemble ce qui est achevé, ailleurs, qui n'appartient à personne, livré au regard d'autrui, et ce qui s'élabore en soi, ce qui en moi s'ignore, m'échappe, demeure enfoui.

Parler de peinture c'est avouer ce désir fou de dire l'essence du monde. Dire le geste qui prolonge ce désir, la matière qui prolonge le geste, et la volonté qui l'anime. Dire qu'on part toujours d'un support vierge plat qu'il s'agit de couvrir. Sur lequel il faut peser. Dire les couleurs, qui lentement s'ordonnent, se font nécessaires, se choisissent. Les proportions, les formes, qui au fil du temps découvrent leurs sens, à notre insu s'imposent, et plus tard se révèlent. Dire les origines qui partout se retrouvent. En nous les autres, tous les autres qui ont tenté d'exprimer ce qui est entendu, de rendre compte à la vie. La présence de l'ombre, si présente en soi qu'on avait fini par l'oublier. A la source de toute lumière.

Dire: "j'aime les ciels de Turner et les nuits de La Tour". Retrouver l'enfant qu'on porte en soi, resté là-bas, en pleur, dans la pénombre d'une église de campagne. Dire l'ange en nous. Et le cadavre aussi. Cette angoisse de devoir chaque nuit vivre entre pesanteur et légèreté absolues.

Dire l'espoir aveugle et la lucidité désespérante que supposent l'acte de peindre. Cette quête improbable d'une alliance entre la Grâce et la Géométrie qui la soutient. Car l'une et l'autre, dans la sphère du cœur et dans celle de la raison, ne sont elles pas ce pont qui unit le monde des dieux à celui des hommes ? De la grâce d'un geste à celle d'une femme, de celle d'une femme à celle de Dieu, rien ne fait obstacle. Car la grâce est l'ombre qui accompagne tous ces instants. Et c'est dans cette part d'ombre que réside l'essentiel. Bien sûr on voit l'objet achevé, mais il porte en lui chaque remord, chaque hésitation, chaque instant de son élaboration, son propre inachèvement, sa destinée toute entière. Ainsi une œuvre d’art ne se réduira jamais à sa représentation. Parce qu’elle est essentiellement projet, son feu rayonnant ne peut être contenu ni par celui qui la fait ni par celui qui la découvre. Elle échappe à tout dessein, à tout commentaire.

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Commentaires
A
...tout comme vos écrits. Ils n'appellent aucun commentaires. <br /> Juste le plaisir de vous lire.
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