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JOURNAL DE CAMPAGNE
26 octobre 2007

Chère amie,

voici deux jours à peine que j'ai reçu votre lettre, qu'elle m'accompagne dans mes promenades. 

Ici il fait très froid. Depuis l'aube jusqu'au soir, le jardin est rempli de silence et de givre. Le jour s'achève dés cinq heures ; qu'importe pour la peinture, j'ai tant de goût pour l'ombre. Pour l'inconnu, l'ailleurs. De là naît le désir.

Voilà deux mois à présent que je peins sans interruption des visages. Je crois pour moi que cette nécessité tient d'abord à ma lenteur (il y a parfois tant de jours écoulés entre le début et l'achèvement d'un tableau, que la répétition du motif elle-même ne suffise pas toujours je le crains à me préserver des errements.) ; ainsi chaque toile se donne-t-elle à moi comme un élément d'une histoire à déchiffrer. L'écriture d'un désir de peindre. En miroir du désir de la vie. 

Désir de corps de femmes, de chairs douces, de parcelles de peau recueillant la lumière. Dans la pénombre d'un après-midi d'été aux persiennes closes, dans la nuit d'un feu d'hiver. 

Corps serrés, blottis, à la limite de la clarté, entre l'obscurité glacée du couloir et la fournaise du foyer. 

Le peintre lui n'existe que dans le désir de l'autre, il est une fiction, un être de spectacle. Dont l'existence n'a pour sens que de montrer ce qu'il y a à imaginer d'une peinture, d'en assurer la représentation et la rendre visible. Comme un acteur interprète la vie. 

Quel lien existe-t-il entre celui qui peint et celui qui ici vous adresse ces mots, dont le sang coule à flots, dont le corps embrasse le jour, grince et pleure parfois, hors un nom posé là sur le bas d'un tableau, qui à lui seul fait Signe ? 

Pourquoi s'acharne-t-on à les rendre identiques, à faire coïncider les traces de la vie à la vie elle-même; celui qui donne à voir, à ce qu'il donne à voir?

La peinture n'est rien d'autre que la marque d'un passage ; celui qui peint est toujours ailleurs, en quête d'autres preuves, jusqu'au jour impensable où rien ne reste à prouver. 

Je le dis aujourd'hui. Mais sans doute à l'origine tout n'était qu'un nœud serré de fascination, d'amours et de haines inexprimées. Duquel tout a surgi. Il n'y a pas eu de choix. Juste un enchaînement d'instants portés par la volonté de rendre compte d'un regard, que par moi se fassent des choses qui me dépassent.

Le désir de peindre doit toujours s'exercer sur le plus petit possible. Il ne faut vouloir exprimer que le presque-rien. Lui seul donne un sens. 

Car une peinture n'est grande que lorsqu'elle dépasse ce qu'elle a voulu exprimer. 

Lorsqu'au-delà de toute vision, elle appelle le regard. 

La vision recherche l'identique, absorbe l’être. Le regard lui, ne contient rien, mène au-delà. En lui autrui nous est livré, nu, pauvre, désarmé. Sans besoin de savoir. Il est l'imperceptible, ce qu'on ne peut tuer ; ce qui échappe à toute pose, à tout masque, nous porte à la rencontre. 

Peindre un visage je crois, c'est dire de l'intérieur ce qu'on perçoit de soi, exprimer à la fois le crâne et la peau, le regard et la vie. C'est une façon de saluer autrui, lui répondre d'abord puis répondre de lui.

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Commentaires
H
Parce que maintenant vous me tutoyez? <br /> (Sourire).
H
Bonjour.<br /> Je n'avais jamais eu l'occasion de passer vous lire.<br /> Merci.
V
unique : quand un être rencontre l'Etre...Nécessité de dire, de montrer, de donner et de prendre à la fois.
S
d'abord, puis répondre de lui", et le revendiquer, mais n'est ce pas aussi l'engloutir, l'avaler, le faire sien?
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