Clara a 20 mois.

De ce temps passé depuis sa naissance, elle n’en gardera aucun souvenir. De ses rires, de ses premiers pas maladroits, de nos émerveillements, de la douleur lancinante qui vrille ses gencives et parfois la fait hurler des heures entières, à peine subsisteront quelques traces, déposées au fond d’elle.

Nous avons tous été parlés avant de naître, avant que le souffle n’emplisse nos poumons et se transforme en cri . Bien avant tout souvenir, nous avons été nommés, désignés par la langue, portés par la voix d’autrui. Bien avant de venir au monde le monde nous attendait, le temps nous précédait. Nous nous inscrivons tous dans une lignée de mots déjà prononcés, de rêves fous, depuis longtemps abandonnés.

Retrouver cet enfant qui dans l’eau du gave ramassait des bois flottés charriés par les crues de printemps. Puis, d’une lame d’Opinel, patiemment les taillait en forme de bateaux, portant gravés au flanc une adresse et un nom : les siens. Ces bateaux rendus à la rivière et qu’il imaginait dépassant l’embouchure, traversant l’océan et rejoignant un jour sur une plage lointaine les pas d’un inconnu. Qui lirait son message et qui lui répondrait. Ainsi débuterait une longue correspondance, prélude à des rencontres, des paysages nouveaux, des amitiés magiques.

Oublier ces deux-là, son petit frère et lui,  qui réveillés dans la nuit, pensant avoir perdu leurs parents, s’agrippent l’un à l’autre, sanglotant, éperdus, fous de peur et de chagrin.