Hamlet
Les eaux noires du détroit montent vers la falaise.
Au crépuscule de la nuit, Hamlet veille encore.
Prince du Danemark. La sirène du ferry déchire l’aube grise. Et les mouettes affolées accompagnent notre course.
To die, to sleep ; to sleep, perchance to dream. Toutes nos errances reprennent vie ici.
Dans les hauts parleurs de l’ordinateur, le Chant de la Terre, la voix de Kathleen Ferrier :
Ewig, Ewig…
En1985 à Lyon, Isabella l’avait interprété, j’avais été bouleversé. I. voulait que j’écrive notre histoire, pour plus tard disait-elle, quand tu m’auras oubliée.
Il y a deux mois à peine, j’ai reçu cette lettre :
« Vingt quatre ans plus tard, je suis revenue à Nenx ! Tout y est identique et tout y est différent.
J’ai retrouvé tes parents, et leur amabilité me touche toujours autant. J’ai été sur la tombe de Pierre. J’ai revu Ruth et sa très jolie petite fille, Sarah. Il n’y a que toi que je n’ai pas vu.
Ton père m’a montré une photo de ta fille, Clara. Dieu qu’elle est mignonne !
Moi, je suis à présent mère d’une très belle jeune femme de 18 ans : le temps a bien travaillé pour nous.
J’espère te revoir un jour, en Toscane.
Tu verras, là-bas aussi tout y est identique et tout y est différent.
Je t’embrasse tendrement. Isabella »
Souvenirs d’elle :
c’est au printemps 1983 que nous nous rencontrons, à Paris lors d’une soirée chez Pierre BL, rue Rambuteaux. Isabella est une amie de Ruth BL. J’ignore tout d’elle. Je sais simplement, dès le premier regard, qu’elle me désire, que son désir est impérieux. Plus tard elle m’entraîne à son hôtel. Le luxe m’éblouit. Je jouis d’elle toute la nuit.
La seconde scène se passe à Nenx quelques mois plus tard: Isabella et son mari, chez Pierre et Ruth, il y a aussi mes parents, tous rient dans la nuit d’été.
La troisième scène se déroule en 1985 à Lyon où je m’étais installé. L’automne est là.
Isabella chante à l’opéra, Mozart, Malher, elle est resplendissante.
Je suis bouleversé, jaloux. Triste à pleurer puis cruel. Méchant, comme un enfant enragé qui casse ses jouets.
La dernière scène se passe près de Sienne, trois ans plus tard. Isabella est blottie dans mes bras. A travers la brume, une lumière pâle glisse sur la campagne. Isabella pleure, car elle vient d’avorter. Et pour la première fois j’ai le sentiment que ma vie aussi pourrait être une histoire. Qu’à mon insu les faits s’enchaînent même si leur logique m’échappe.