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JOURNAL DE CAMPAGNE
7 janvier 2008

Retrouver le chemin de l’écriture.

Une fois encore reprendre ce travail interrompu depuis plusieurs semaines. Partout les herbes folles de la pensée ont repoussé, effaçant les sentiers tracés : seul le présent de l’écriture me permet d’échapper à la fatalité du vieillissement.

Ecrire au matin, au crépuscule de la nuit, l’esprit lavé par le sommeil et les rêves. Chercher à tâtons la chaleur de l’étreinte, éprouver la limite étroite qui sépare la nuit profonde, le corps nu et sauvage de la vie sociale et des conventions.

Ecrire dans la plénitude du jour et la froidure du gel. Plonger dans l’eau vive des mots, disparaître dans la lumière, en une myriade d’étoiles, yeux fermés, bouche ouverte, se jeter dans la langue en apnée. Puis ressurgir ailleurs, épuisé, immortel, ouf c’était tellement merveilleux, comme si tout ça n’avait jamais eu lieu.

Ecrire la nuit, dans le silence, comme on rêve, quand les mots murmurés nous invitent au sommeil.

Remonter le courant, en oubliant la source, trouver le ton, le reste suivra.

Ce n’est qu’après avoir épuisé tous les recours possibles, que l’écriture permet de dénouer les nœuds qui étouffent, d’éclairer le chaos.

Depuis près d’un an à présent, dans le blog, je cherche ce passage aveugle, par lequel la lumière pénètrerait et ouvrirait ici des routes nouvelles.

Constat de tous ce temps passé devant la table : la vraie vie est ailleurs, toujours insaisissable. Qu’est ce qui nous pousse à la doubler d’une vie de mots, d’encre et de papier, de signes posés sur l’écran, comme autrefois sur les parois de grottes obscures, à nous inventer une destinée ?

Pourquoi rêver que d’un instant à l’autre, tout peut changer, qu’en une seule journée dix personnes parfois viennent nous habiter, au gré des rencontres et des évènements ? Refuser qu’en dépits de tous nos efforts nous demeurerons à jamais exilés de notre propre passé ?

Il n’y a aucune possibilité de retour en arrière : se payer une nouvelle virginité est un luxe de riche, on ne peut pas se changer, on écrit toujours avec ce qu’on est, un corps habité, qui court vers l’abattoir.

Dans le défilé des phrases « mises au propre », que subsiste-t-il à la fin de toutes les hésitations, des remords, des flétrissures originelles et des effets du corps ?

Le style n’est souvent qu’une question d’adresse ou de maladresse, choisir entre grand style et révolte pure, crachat au visage et salutations distinguées, on n’en sort pas. Tout se résume à ça, l’incarnation des mots. La mise en résonance du corps et du verbe.

En vérité, il n’y a pas de choix: les marques de la vie sont irrémédiables.

Quelque chose s’est perdu dans l’avènement du langage, et les mots à jamais restent disjoints du corps.

Tourner autour de ça, de l’enfant enfermé dans la tombe, rendu muet puis sourd par un deuil inabouti dont ce texte-palimpseste serait l’achèvement. En finir avec la répétition.

Car sans doute ce besoin de ressasser et aussi ma difficulté d’opérer des choix, d’achever les choses et les histoires viennent de là, de ce deuil raté.

Et tandis que s’avance l’issue de ces pages, une fois encore revenir sur mes pas et recopier ici la fin de ce premier texte-memento déjà évoqué, le récit d’un retour, d’une lente remontée dans les filets de la mémoire, l’histoire d’un autre inconnu qui rejoint aujourd’hui ma propre histoire:

« Une heure sonne à la pendule du couloir.

La fatigue à présent a envahi son corps. Dans un demi-sommeil, il se replie en chien de fusil, et là, contre l’oreiller, du fond de son corps lui parvient l’écho de sa respiration, le battement de son pouls.

Plus tard dans la nuit, en se retournant, il entendra le cahier glisser au pied du lit : sur la couverture orange, un mot, un seul, écrit en noir, en lettres majuscules : MEMENTO.

Plus tard encore, il entendra la pendule égrener chaque heure de la nuit puis lentement monter les bruits du jour naissant.

Les premières lueurs de l’aube pointent à travers les volets lorsqu’il achève de recouvrir les meubles du salon de leurs housses blanches.

D’un ultime regard, il parcourt les pièces vides, s’assure de la fermeture des fenêtres, s’empare de son sac, sort enfin.

L’air vif le fait frissonner. Une clarté dorée inonde le jardin. A l’est, le disque flamboyant du soleil crève l’horizon pastel.

Haut dans le ciel, en pleine lumière, passe un avion.

Il le suit des yeux, jusqu’à ce qu’il devienne un point minuscule dans l’azur.

Un sentiment d’exaltation l’étreint alors : comme si la transparence de l’air, la pureté de cette aube soudain gagnaient son corps en chaque parcelle, son être entier désormais purifié, éperdu, débordant d’une joie nouvelle.

Et s’il ne pleure pas, d’exaltation, de joie retrouvée, c’est qu’il y a désormais tant à découvrir, à faire et à aimer.

D’un geste maladroit, il saisit le sac, le met en bandoulière et se dirige vers la gare. »

*

Avant de s’endormir, Clara hurle quelques minutes. Sans doute le sommeil la terrifie-t-elle encore : fermer les yeux au monde.

La joie renaît dès son réveil : le bonheur de retrouver le jour, d’avoir échappé aux ténèbres, illumine ses traits.

Ô Seigneur Tout Puissant, mémoire éternelle, Souviens-toi de nous. N’oublie ni nos joies ni nos tourments.

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Commentaires
B
merci ma belle; le style c'est l'homme (Malherbe? Vauvenargue? j'ai un trou). Bonne année chère V
V
Ce que vous appelez le "style" n'est pas que maladresse ou adresse...Ecrire n'est pas se payer une nouvelle virginité (hélas...ou heureusement !)<br /> <br /> Ecrire c'est le présent, là, maintenant, tout de suite, c'est le moi d'aujourd'hui, dans la violence de la vie, le moi qui est fort d'autrefois et riche de demain en puissance. Et le fameux "style" n'est-il pas comme le corps, un reflet de notre âme, une émanation, un entour, une trace ?...<br /> <br /> J'aime votre style, comme je peux aimer la démarche de tel homme, le regard de tel autre, ou le sourire d'un tel...Parce que ces morceaux d'eux me donnent un peu d'eux-mêmes.
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