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JOURNAL DE CAMPAGNE
8 avril 2008

Lourdes

La semaine dernière, avec Mathilde nous sommes allés à Lourdes, sur les traces de la Sainte (« élucider » cette fascination).

Aux abords du sanctuaire, partout les marchands de souvenirs proposent leurs pacotilles. Pigalle des Catholiques (recenser les articles proposés reviendrait à dresser une liste absurde).

Devant la Grotte pourtant, quand, dans le silence, des familles entières poussant leurs enfants paralysés s’avancent,  une immense vague de chagrin m’engloutit dans leur malheur.

Pour eux, le seul, l’ultime espoir de sauver leur enfant ne réside-t-il pas dans le miracle ? Qui leur a fait parfois traverser la terre entière. Malgré moi, m’identifiant sans doute à ces parents, projeté dans leur douleur, éperdu, je m’accroche à Mathilde pour éviter de fondre en larmes.

Cette dévotion pour la Vierge de Lourdes me bouleverse : car elle porte en elle tant de détresse, de tristesse, de malheur absolu, mais aussi tant d’amour de la vie et de folle espérance.

Les paroles de la Vierge à travers l’adolescente :

Boulet me hé éra grazio de bié pendén quinzé dios ? 

Qu’anerat disé as prêtros de hé basti assi uo capéro.

Anat béoué en a houn et bi laoûa.

Que préghérat Diou en tas pécadous.

Que soï l’immaculada counceptiou. Anat minghia apuéro hierbo que troubérat aquieoû.

Nous proumeti  pas dép hé urousse en esté moundé mes en enaouté.

Lorsqu’on traduit, on traduit toujours une intention, une idéologie et un contexte. La Sainte, lorsqu’elle témoigna, baragouinait à peine quelques mots de français, ainsi le fit-elle en patois. Cette langue parle de foin, de litières animales, de basse-cours puantes, de cabinets à ciel ouvert, mais aussi du vent du Sud qui rend les bêtes folles, de l’eau glacée du gave courant sur les rochers, de l’orage qui gronde durant les soirs d’été. Et le passage au français, la langue des Maîtres, la rigidifie, la rend dure et coupante, la débarrasse de sa misère.

N’y avait-il pas d’abord dans la Sainte de l’ignorance, une véritable ignorance ? Transformée plus tard par les prêtres en sagesse, en hauteur d’âme (élévation spirituelle).

Et si j’interroge son histoire, sans doute est-ce car celle-ci fut exemplaire pour des générations entières.

Ainsi ma grand-mère mais également ma mère vécurent dans l’ombre de cette paysanne illettrée qui trouva la lumière par la grâce des princes de l’Eglise, manipulée, trahie, par les maîtres du Spectacle. Le journal de ma mère, la lettre de mon père en témoignent.

Enfant, la seule langue que connaissait la Sainte était celle qui remplissait sa bouche. Et les seules paroles qu’elle comprenait étaient celles que les siens proféraient en patois. Difficile d’imaginer révélation moins sublime.

On la décrit vive, volontaire, parfois drôle. Comme une petite paysanne, prompte à répliquer en patois bigourdan. Mais la traduction en français de ses traits d’esprits, dans la langue de Pascal et de Malherbe, ne la rend-elle pas plus spirituelle encore, et ne vise-t-elle pas d’abord à les éloigner de leur sens «commun» originel ? A les rendre lumineux et les débarrasser de leur odeur de ferme, de cette crasse des va-nu-pieds, à faire oublier les caries et l’odeur infecte qui remplissaient sa bouche : traduit, le bon sens vaut souvent lucidité, la répartie impertinente humour. Rien n’y est poésie, mais poisse, suint et maladie.

Ainsi durant plus d’un demi-siècle, la vie rêvée de l’adolescente prit-elle valeur d’exemple pour des millions de petites paysannes : en invoquant le sublime, comme unique moyen de rendre la misère acceptable, d’échapper à la boue sans pourtant la quitter, de fuir la fatalité des basse-cours tout en y demeurant soumis.

Mais nous, esprits forts, désormais devenus riches, saurons nous affranchir de tout cela ! Contempler la misère sans ciller ni baisser le regard, sûrs de nos valeurs et de nos livres, libres de choisir nos plaisirs ! La belle affaire !

Des faits, des faits. Arrêter de rêver. Revenir aux origines de ce texte, au cadavre: les rapports d’exhumations et d’autopsies de la Sainte qui agissent comme autant de catalyseurs de ma quête.

A travers eux accepter enfin le cadavre de ma mère, concevoir réellement sa mort. Et puis aussi renouer / en finir avec la postérité, le mystère du jugement dernier, ce jour fatal où les corps se relèveront de leur sommeil.

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