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JOURNAL DE CAMPAGNE
9 juin 2007

échos de campagnes : la mort de ma mère

lorsque ma mère est morte a commencé sa légende. Sa propre mère en mal de grandeur fit d’elle une sainte. Durant plus de deux décennies (une génération), cette image terrible pesa sur nos épaules. J’ai retrouvé hier le petit in-quarto imprimé lors de sa mort où est résumée la trame de la thèse familiale, soutenue sans faillir jusqu’à la fin de ma grand-mère, il y a moins de 5 ans.

« Souvenez-vous dans vos prières de Madame M.C. née H.B. rappelée à Dieu le 6 avril 1969 à l’âge de trente-deux ans.

Elle était l’âme de la famille. Elle laisse à ses enfants le plus bel exemple d’une noble vie, toujours prête à mettre au service de tous, son cœur généreux, son intelligence et son dévouement.

Jésus l’ayant regardée l’aima et lui dit viens… C’était le Jeudi Saint.

Jésus partagea ensuite avec elle sa lourde croix de souffrance. Il l’a trouvée digne de lui par la patience avec laquelle elle l’a acceptée (Je me rappelle ses hurlements de douleur qui emplissaient la maison ; plus tard par mon père j’appris que durant deux jours les médecins l’avaient laissée mourir, s’empoisonner lentement, sans rien faire ou beaucoup trop tardivement)… C’était le jour de Pâques (j’ai de ce jour-là le souvenir d’une matinée radieuse qui bascula dans les ténèbres à l’arrivée de mon oncle en pleurs : le monde s’écroulait, ma mère s’était définitivement absentée).

Elle nous laisse sa prière préférée.

Seigneur, apprenez-nous :

-          à être généreux ?(Vers 8 ans soudain cette vérité simple m’est apparue :chacun de nos gestes est guidé par l’intérêt).

-          à vous servir comme vous le méritez (longtemps, n’ai-je pas haï toute forme d’autorité, tout en ne manquant pas une occasion de m’y soumettre…)

-          à donner sans compter (très tôt, dès sa mort, n’ai-je pas cessé de croire aux vertus de la justice et de la charité)

-          à combattre sans souci des blessures (ah les combattants du Christ !)

-          à travailler sans chercher le repos (elle en est morte)

-          à pardonner les offenses (Quel pardon accorder à cette mère morte il y a plus de trente ans ?)

-          à nous dépenser sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons votre sainte volonté. »

Foutaises d’esclaves, foutaises, foutaises !

Suivaient ce mot écrit d’une main ferme par mon père : « Si j’avais été consulté pour la rédaction de ce texte, il aurait été différent ».

J’ignore l’essentiel des relations qui unissaient mon père et ma mère. Si je m’en tiens à ce qu’il nous confia, probablement s’agit-il pour chacun de leur premier amour. Mais des gestes quotidiens, des moments de tendresse, des corps enlacés, des baisers, de tout ce qui constitue l’incarnation de l’amour, je n’ai aucun souvenir.

De même j’ignore tout ou presque de ce que fut la jeunesse de mes parents. De leurs rêves d’enfants, de leurs espérances d’adolescents, de tout ce qui constituerait pour moi la fable des origines.

Seuls quelques éléments me sont aujourd’hui connus, au travers d’une lettre qu’il y a environ dix ans mon père envoya à ses enfants. De cette longue lettre, ces quelques mots pour moi déchirants :

Au début : « L’histoire recommence le 6 avril 1969. Le feuilleton familial commencé entre nous, le soir, dans l’intimité du foyer (celui dont aujourd’hui j’ignore tout), est interrompu ce jour-là par la disparition du personnage central : votre maman.

Nous le reprendrons ensemble, si vous le voulez bien, dans ces quelques pages, pour essayer de voir briller la lumière au bout du tunnel qui m’engloutit ce jour de Pâques. »

Et à la fin : «  La vie radieuse commençait. Elle s’acheva onze ans plus tard, après une vie commune débutant le 7 septembre 1959, et durant laquelle le couple ne s’endormit pas une seule fois sans s’être auparavant réconcilié, si brouille il y avait eu. »

Près du faire-part, dans l’album de photos, une image du bonheur datée d’août 1968, prise avant un départ en vacances : ma mère et Anne-Marie, souriantes. Il ne leur reste respectivement que huit mois et trois ans à vivre.

Depuis longtemps j’ai dépassé l’age de ma mère à sa mort. Elle est pour moi à présent comme une jeune sœur dont la figure se confond avec celle d’Anne-Marie, tuée par une voiture folle en 1972, à l’âge de cinq ans. Figures fantomatiques, anges tutélaires dont chaque soir, depuis 30 ans, j’invoque la protection.

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