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JOURNAL DE CAMPAGNE
6 juillet 2007

adolescence

J’ai 8 ans. Contrarié par les remontrances de ma mère, je me réfugie dans un creux de haie, loin de la maison. Je rêve d’assassiner ma mère, sur des lames acérées qui la transperceraient. J’entends mes parents qui appellent, me cherchent partout. Je reste là blotti, jusqu’à la nuit tombante. Moins d’un an plus tard, mon vœux se transforme en cauchemar.

8 ans encore. Je fais ma première communion. Je mange le corps du Christ, dans ma bouche la chair d’un homme ressuscité d’entre les morts : elle a goût de papier salé.

Et le mystère de l’Eucharistie demeure insondable (Exhibition cannibale et pourtant l’âme en paix).

J’ai 10 ans. Enfant de chœur dans l’aube glacée, je sers la messe. La voix du prêtre résonne dans l’église obscure, durcit le silence.

J’ai encore 10 ans. Je rêve que ma mère n’est pas morte. Je la retrouve alors, plus vivante que dans tous mes souvenirs. Au réveil, le rêve est si prégnant qu’il me faut attendre longtemps pour comprendre : tout cela n’est pas vrai, je n’ai fait que rêver.

Ecrire : le désir de rejoindre pour le sauver l’enfant éperdu de honte en soi. Plus tard, l’adolescent affolé, dont le sang afflue, se met à bouillir. Après la mort de ma mère, mon corps a commencé à devenir un étranger. Il m’a fallu près de 20 ans pour parvenir à l’apprivoiser, faire miennes ses mains, son visage, ses attitudes. Seul le regard demeurait inchangé.

J’ai 12 ans. TR. me dégoûte. Je le méprise. Un jour je lui dis que tout le monde répète qu’il n’est qu’un bon à rien et vicieux. Puis je m’échappe en courant. Doublement honteux.

En août de cette année là aussi : dans l’église d’Aux, à l’enterrement d’Anne-Marie.  Pour résister aux larmes, je me tiens agrippé à la main de mon père. Ultime secours au milieu du chaos. Il l’enserre à son tour, la presse très fort. « Tiens-moi, tiens-moi, sinon je sombre. » Et mon regard se porte loin devant, loin, vers la lampe du Saint-Sacrement qui brûle dans l’ombre. Et là j’oublie tout, tout, pour ne garder du monde que cette main tendue. (Aujourd’hui Clara prend ma main, l’enserre, s’agrippe à mes doigts).

Plus tard au cimetière : le chant d’un oiseau dans le silence, la fuite des nuages dans le ciel de printemps, en contrepoint de ma mère morte et d’Anne-Marie, reposant là sous la pierre. Le petit corps d’Anne-Marie  (elle a eu cinq ans il y a une semaine), celui de ma mère, dont je n’ai plus de souvenir, que j’imagine à peine.

-La Sainte exhumée :« Les linges en voile qui recouvrent le corps sont humides et tâchés de moisissures. Ils n’adhèrent pas aux parties découvertes du cadavre.

Lorsqu’ils sont enlevés, on se trouve en présence d’un corps revêtu d’une robe de bure. La face, les mains, les pieds ont une teinte brune. Sur cette teinte sombre tranchent des tâches claires de moisissures et de dépôts calcaires. »-

…Et là, sur leur tombe, je pleure, pleure et pleure encore. Vide  mon corps de toutes ses larmes.

J’ai 15 ans. Hélène…Mon corps pousse encore, déborde de plus en plus les limites de ma raison. Esprit des bois et des prés, entre en moi, pénètre-moi de ta force. Terre fertile, ouvres-toi, abandonne-toi à mon plaisir.

Jusqu’alors chaque dimanche nous devons aller à la messe. Au terme d’une série de violentes disputes avec mon père, je parviens à échapper à cette obligation, depuis longtemps pour moi transformée en corvée.

J’ai 20 ans à présent, roulant nu dans les vagues de l’océan, éclaboussement glacé sous un soleil éclatant, dévalant en hurlant les dunes brûlantes, rêvant de jouissances terribles qui délivreront mon corps de toutes ses tensions. Au milieu des pins, tremblant dans les matins froids, guettant les crépuscules enflammés… la vie est immense. (A mesure de son accomplissement, elle ne cessera de se restreindre. Les saveurs violentes, les désirs indicibles se couvriront de cendres.)

Le corps engourdi sur le sable chaud (ne pas bouger, ne plus jamais se lever) tandis que dans ma tête défilent les idées.

J’ai 20 ans encore. Au matin, cette femme que j’ai rencontrée hier soir chez des amis est étendue près de moi. Relents amers de la nuit. Honte de son corps disgracieux, de mon plaisir perdu. Envie de fuir, d’être loin d’elle, honte d’avoir tant joui sans vrai désir, de vouloir oublier ces moments-là, rayer de ma mémoire ce plaisir.

Honte de moi enfin qui lui demande de se rhabiller et de partir.

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Commentaires
C
Incroyable. Tout simplement incroyable.
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