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JOURNAL DE CAMPAGNE
17 octobre 2007

Automne / Chaînes et Servitudes; pour D.

L’automne est arrivé.

Soudain on s’aperçoit que les jours raccourcissent.

Les chauffages s’allument aux terrasses dès cinq heures, la pluie revient dès l’aube, efface tout.

Pour D., constat Houellebecquien, établi un automne il y a quelques années :

« Depuis des mois les chiens de garde veillent, prêts à nous dévorer.

Chaque matin, dans la bourrasque, je me rends à mon lieu de travail. M’y agite et accomplis des tâches pour lesquelles chaque mois je reçois un salaire. La contrepartie est double : supporter sans broncher le poids de ma lâcheté, dépenser sans compter mon argent et ma peine.

Ma seule résistance réside dans la haine. Que je préserve intacte à l’abri de mon corps. On montre toujours trop ce qu’on éprouve vraiment. On ne se protège jamais suffisamment du malheur et des intempéries.

Depuis trois mois, successions de joies, de découragements, immenses vagues de stress.

Dans mon travail les choses empirent.

Se lever à l’aube déjà fourbu, boire un bol de café, prendre la voiture pour rejoindre le bureau, rouler à n’en plus finir, user son corps dans le travail, faire face aux migraines, aux remarques des autres employés et aux injonctions intenables de ceux qui nous « dirigent », s’user encore à ravaler sa haine, feindre la joie, répondre au courrier, au téléphone ou aux e-mails, retenir son mépris, pour enfin, la nuit tombée, rouler encore pour rejoindre M. et Clara, puis écrire ces mots. Quelle belle vie que voilà !

Il faut absolument que je me libère de cette torture. Trois mois encore dans ce climat et cela deviendra insupportable. La hiérarchie est désespérante, héritée de siècles de domination, rendue libre et sauvage et plus insupportable encore par l’avènement du marché libéral dont la violence imprègne nos vies.

On veut nous faire croire que toute espérance est vaine, que la science est une révélation à laquelle nul ne peut s’opposer, que la fatalité seule gouverne nos vies.

Depuis vingt ans, le capitalisme français n’a jamais été si florissant : les riches ne cessent de s’enrichir, tandis que le reste des humains s’englue dans le présent. En moins de cinq minutes, Monsieur Arnault gagne plus d’argent que je n’en gagnerai durant ma vie entière.

Chaque jour les médias veulent nous imposer l’universalité du beau, du bien et de la morale, un monde dont nous n’aurions jamais éprouvé l’existence dans notre chair.

Le bonheur et la joie ne nous sont-ils pas à tous promis, montrés chaque jour à la télévision, exhibés dans les magazines, jouant sans répit sur nos besoins les plus fondamentaux : besoin d’être en paix sur notre territoire (ainsi pouvons-nous dormir d’un sommeil profond), besoin d’être semblables, conformes à nos voisins, besoins d’obéir pour être rassurés, de protéger et d’être protégé?

La violence organisée du marché ou de l’Etat utilise nos affects, nos besoins primordiaux, les manipule, les met en spectacle. Et sur ces productions en technicolor des idéologies se fracassent nos destinées.

D’un côté la domination, la violente servitude du travail, de l’autre le rêve vendu sur catalogue, la servitude du regard et du sexe. Entre deux, égarée, séparée du monde : notre existence. Et la peur ancrée dès l’enfance de perdre ce qui nous appartient à peine.

Mais bientôt tout cela finira. En 1998, le clonage de la brebis Dolly n’a-t-il pas ouvert grand les portes de l’inceste et de la folie héréditaire ? Partout déjà des clones humains sommeillent, au seuil de l’immortalité.

Bientôt on n’aura plus besoin du sexe pour procréer ni du deuil pour affronter la mort. Le destin de l’homme, notre salut à tous, se trouvera ainsi dans la métamorphose : mettre tout notre espoir dans la technologie, échapper à son corps, au dépérissement, à l’identité.

Bientôt nous n’aurons plus peur de rien, pas même de mourir.

Résolutions : ne jamais s’abandonner au flux des médias, fouiller dans l’ombre, chercher à l’envers des images, la part cachée des représentations ; ne jamais cesser de douter des apparences, résister et comprendre. C’est dans ce noyau incorruptible de pure révolte,  que doit s’ancrer l’écriture. »

En recopiant ces lignes, me revient le souvenir de ce temps de désordres et de souffrance. Durant quelques années j’ai éprouvé une tension des nerfs continuelle liée à mon travail : l’harassement quotidien, la fatigue qui fait naître l’insomnie, l’épuisement du désir (perdu d’angoisse la nuit, devant l’avenir.).

Ces pages, constat de la désolation de ma vie intérieure encombrée des soucis professionnels, rongée par l’inhibition et le stress, en guise de témoignage des conditions de travail  et de « gestion de carrière » -d’accès au progrès social- des classes industrieuses dans les années 2000, le stress, né paradoxalement avec l’amélioration des conditions de travail et la diminution des contraintes physiques : « struggle for life » adapté aux 35 heures et à la démocratisation des loisirs et de la culture !

Y lire aussi ma difficulté à me détacher du quotidien, à inventer des histoires, à « m’élever ». Pour ceux qui comme moi ont si peu de repères, peut-être faut-il toujours, avant d’incarner d’autres corps, avoir fini d’explorer le sien en ses moindres recoins ? De là sans doute mon émerveillement naïf devant la narration, qui fait de moi un fervent consommateur de romans policiers ou de films de genre.

Enfant, j’avais rêvé ma vie en roman d’aventure. Aujourd’hui, sa reconstruction mentale se réduit à un défilé décousu d’instants incertains. Entre ce que je répète et ce que j’invente, toute mon aventure consiste désormais à trouver à ces mots leur place. Comment sauvegarder la moindre logique narrative, dés lors que le temps de la narration se confond avec celui de l’écriture ?

Hors de toute littérature, témoigner ici simplement d’une vie d’homme, de ses espoirs, de ses désirs, de ses lâchetés.

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Commentaires
B
cher duc, pour vous rassurer... Gageons que le pas est franchi depuis déjà quelques temps. De cela seul en témoignent la forme et le style (il faut beaucoup, beaucoup de travail pour écrire sur l'enfance ou peindre "naturellement", c'est à dire pour faire "semblant" sans qu'il n'y paraisse).
D
la difficulté dans la vie tient a suivre ses reves d'enfants. Comme dit la chatte , parlez lui....<br /> <br /> il y a un temps ou on est spectateur de sa vie.<br /> un autre ou nous devons devenir acteur.......<br /> quitte a prendre des risques.<br /> Ces temps sont toujours tres proche, quelque fois ils s'entremelent. Si "logique" il y a , elle ne vient qu'apres le pas de distance necessaire.<br /> Il convient pour cela de savoir differencier ce qui est vital de ce qui est necessaire.....
L
il est là c'est vous il est en vous, parlez lui...il peut vous aider.<br /> beati pauper in spiritus c'est tellement vrai...
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