Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
JOURNAL DE CAMPAGNE
3 juillet 2008

Ma première visite chez Marguerite D. telle que je l’ai décrite plus tard

A cette heure, le soleil pénétrait largement dans la pièce par les deux fenêtres qui ouvraient sur le port. Et son implacable clarté révélait la misère du meublé : le papier peint défraîchi, les meubles années 50 parcourus de vilaines cicatrices, l’écran du téléviseur noir et blanc couvert de poussière, le napperon de dentelle au milieu de la table, la moquette tâchée de larges auréoles. Et comme je paraissait perplexe devant tout cela elle dit d’un ton d’excuse en embrassant la pièce du regard : « Je ne suis ici que depuis deux mois. Je ne sais pas encore combien de temps je vais y rester.» Plus tard, après avoir préparé du café : elle se tenait devant moi, accoudée à la table, une cigarette à demi consumée à l’extrémité de sa main. Et il y avait quelque chose de magistral dans son geste, dans la finesse de ses doigts, la courbe du poignet, qui tranchait singulièrement avec son apparence première (sa corpulence, l’aspect négligé de ses vêtements, son absence de maquillage qui soulignait la fatigue sur son visage). Outre ses mains, ses jambes également étaient belles :un mollet élancé, des chevilles d’une remarquable finesse. Mais par-dessus tout ce qui frappait d’abord c’était ses yeux, d’immenses yeux verts qu’on eût dit lessivés, apurés par le temps et les épreuves. Dans lesquels la passion s’était mué en intelligence, dans lesquels aussi, au delà de la fatigue, se lisait une terrible faculté de concentration et de détermination, de faire et dire certaines choses irrémédiables, et qui pourtant n’engage qu’elle. Avant d’en venir à Robert Anthelme, elle me parla d’abord longuement de son enfance à Gia Dinh, près de Saigon, puis de son adolescence, de son séjour chez les Ursulines. Là, me dit-elle, on lui avait appris les prières pour éloigner les démons de son corps.(Ô Dieu Tout Puissant pardon pardon, répétait-elle alors chaque fois que par inadvertance un frôlement réveillait soudain l’existence de ses seins ou de son pubis. Avec horreur sentant les signes avant-coureurs de ses règles, avec plus d’horreur encore découvrant le sang menstruel. Méprisant la défécation, la transpiration et toutes les humeurs du corps). Une main tenait sa cigarette, dressée entre majeur et index; l’autre était appuyée contre sa joue, le menton posé au bord de la paume. Son expression ne trahissait aucun sentiment: elle regardait devant elle, à travers moi; « Tout cela est si vieux vous savez. Il y a si longtemps ». Je restais en silence, attendant qu’elle parle.

ZHVyYXM_

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité